1914

affiche de mobilisation
affiche de mobilisation

 L'entrée en guerre

 

Les affiches, ordonnant la mobilisation générale furent apposées sur les murs d’Houplines le samedi 1er août 1914. Elles appelaient l’ensemble de la population masculine apte à porter les armes, soit les jeunes déjà sous les drapeaux et les réservistes âgés de 24 à 48 ans. C’est ainsi que plusieurs centaines d’Houplinois furent mobilisés, pour une guerre que tout le monde pensait qu’elle serait courte. Aussitôt, le garde champêtre battait son tambour et les cloches des églises sonnèrent le tocsin. En un instant, tout le monde était dans les rues. Beaucoup de ménagères se précipitèrent dans les magasins pour faire des provisions, et les commerçants d’un commun accord, avaient déjà augmenté leurs prix.

 

 

Le lundi 3 août, l’Allemagne déclara la guerre à la France. Tous les mobilisés se mirent en route. Certains firent la route à pied ; d’autres profitèrent d’une voiture, et d’autres se dirigèrent vers les gares d’Houplines et d’Armentières. Puis, les jours passaient et l’opinion générale était qu’il ne se passera rien dans la région. La confiance était grande. Pourtant, les nouvelles qui parvenaient étaient confuses et peu rassurantes. Le 29 août, la classe 1914 se mit en route, à pied par une chaleur torride, pour rejoindre La Madeleine. Et le 3 septembre, Houplines fut traversé par tous les mobilisables de Lille, Roubaix, Tourcoing, qui de rendaient à la gare d’Armentières où des trains spéciaux les attendaient.

 

Le samedi 12 septembre, les Houplinois apprirent la mort du caporal Léon Danset du 233e R.I., vicaire de Saint Charles, tué le 24 août 1914 à Etain (Meuse- au nord-est de Verdun) en remplissant une mission périlleuse en tant que volontaire. Il était le troisième soldat d’Houplines tué en ce début de guerre.

 

Le 15 septembre, ce fut la « course à la mer » où les armées française et allemande s’évertuèrent, chacune d’elles, à déborder l’aile ennemie par l’ouest. Aussi, le 16 septembre, des soldats français débarquèrent en gare d’Armentières. Il s'agissait du 4ème Territorial. Ils furent suivis le lendemain par le 8ème Territorial.

 

Le samedi 3 octobre, ce fut le tour de la 7ème division de cavalerie et d'éléments du 21ème corps de cuirassiers et de chasseurs à pied, venus pour tenir.les passages sur la Deûle et la Lys, de Lille à Erquinghem-Lys.

 

 

           MdL L F Destouches
MdL L F Destouches

Le dimanche 4 octobre, débarquèrent les 11e et 12e régiments de cuirassiers. Parmi les soldats du 12e cuirassiers se trouvait le maréchal de logis Louis Ferdinand Destouches (1894-1961), plus connu plus tard comme écrivain sous le pseudonyme de Céline. Les cavaliers s’installèrent dans quelques fermes d’Houplines, étant chargés de tenir les ponts sur la Lys entre Houplines et Frelinghien. Le régiment était alors composé de 750 hommes et 35 officiers.

Pour les contrer, les Allemands s'approchaient de la vallée de la Lys, avec le IVème corps de cavalerie, composé de trois divisions : la IIIème division se dirigeant vers Lille pour empêcher la sortie de la garnison française, la VIème division et la division de cavalerie bavaroise contournant Roubaix et Tourcoing par le nord pour s'emparer des ponts sur la Deûle, entre Lille et la Lys.

 

Le lundi 5 octobre, le 12ème cuirassiers fit une reconnaissance vers le nord pour occuper le Pont Rouge et les écluses sur la Deûle à Deûlémont. L'après-midi, deux pelotons livrèrent une petite escarmouche contre des escadrons allemands du 1er régiment de cavalerie lourde bavaroise qui s'approchaient, et ils ramenèrent trois prisonniers. Encadrés par des gendarmes, ceux-ci furent copieusement injuriés par les hommes en traversant Houplines, tandis que les femmes se cachaient pour pleurer, la vue de ces trois jeunes soldats leur faisant penser à leurs fils qui se trouvaient au front. Mais vers 17 heures, des forces importantes ennemies, après avoir bombardé le centre de la ville, attaquèrent violemment les cuirassiers français qui furent contraints de se replier sur Frelinghien.

 

Le mardi 6 octobre, le 12ème cuirassiers reçut l'ordre de reprendre les ponts perdus. Ils repoussèrent les Allemands jusqu'à Comines.

 

Le jeudi 8 octobre, au cours d'une patrouille de reconnaissance dans les bois de Ploegsteert, les cuirassiers furent accrochés par l'ennemi. Un trompette fut tué, et le maréchal de logis Destouches sauva son lieutenant blessé et le ramena dans les lignes françaises. Redoutant la venue des Allemands par la Belgique, les Houplinois levaient chaque soir le pont sur la Lys, et des chariots en nombre étaient placés en travers de la route. Il y eut encore des combats du côté de Nieppe le 9, et du côté de Frelinghien le 10, mais les Français durent se replier à nouveau devant la poussée des troupes allemandes. Ils furent suivis par tous les hommes mobilisables d'Houplines qui se dirigèrent vers Angers, Limoges, Bordeaux, Montpellier, etc.

 

L'occupation allemande

Le samedi 10 octobre dans l'après-midi, les Allemands occupèrent la ville d'Houplines, se répandant partout, y semant la terreur. Ils entrèrent dans les maisons pour se faire servir à manger, ils pillèrent les maisons vides et les commerces, défonçant les portes. Ils brisèrent les appareils du bureau de poste, coupèrent les fils téléphoniques et menacèrent de mort la receveuse, Melle Marie-Clémentine Deletête, qui avait eu le temps de mettre en sureté ses valeurs et sa comptabilité. D'autres ne firent que traverser la ville, se dirigeant vers Armentières avec leurs équipages d'artillerie et des véhicules de toutes sortes, avec l'intention de gagner Dunkerque, mais ils furent arrêtés à Hazebrouck.

  

Le dimanche 17 octobre, les troupes allemandes furent contraintes de se retirer précipitamment devant les forces britanniques arrivant en nombre. Elles laissaient l'église Sainte-Anastasie dans un état épouvantable, avec un pied de fumier couvrant les dalles, et le mobilier démoli, les lieux ayant servi d'écurie, tout comme les dépendances du patronage, rue Carnot.

 

Houplines ville britannique

Le 17 octobre les Britanniques arrivèrent par Armentières, par La Chapelle d’Armentières et par la rue Brune, de façon à encercler les derniers ennemis qui n’auraient pas encore déguerpi. Houplines fut alors occupée par la 10 e brigade de la 4 e division britannique, conduite par le 1er Royal Irish Fusiliers et la 2 nd Seaforth Highlander. La 2 nd Seaforth Highlanders était une unité divisionnaire de soutien, probablement chargée de nettoyer les quelques nids de résistance allemande opérant encore à Armentières et à Houplines. Les rues furent parcourues prudemment par des éclaireurs anglais, et les habitations visitées pour en déloger les Allemands qui s’y trouvaient. Ils éliminèrent tous ceux qu’ils trouvèrent. Ils incendièrent même la ferme Flipo où s’étaient retranchés cinq soldats allemands qui leur tiraient dessus. Ils en tuèrent encore trois autres à la ferme Leroy qui se trouvait derrière la mairie.

Pour une raison indéterminée, un soldat britannique du 2 nd Royal Dublin Fusilers s’écarta de la route principale, et s’engagea dans la rue Curie à Houplines. A l’extrémité de cette rue, à l’angle de la rue Jean- Jacques Rousseau, il aperçut un estaminet, peut-être bien une petite épicerie avec un comptoir de boissons. Il prit la décision d’y entrer, pour y trouver de la nourriture ou pour se rafraîchir le gosier. Il franchit le seuil et se trouva face à six Allemands qui étaient en train de boire. Il semble que ceux-ci se sentaient en sécurité, dans ce café à l’écart de la route. Avec une audace incroyable, ils pensaient peut-être que l’endroit était tout indiqué pour y faire une petite halte et profiter des boissons que ce lieu leur offrait. La surprise fut totale pour tous. Les Allemands se précipitèrent pour se saisir de leurs fusils posés contre le mur, mais ils ne furent pas assez rapides. Le Britannique avait commencé à tirer sur eux et il les tua tous les six. Seulement, il reçut une mauvaise blessure par un ou deux Allemands qui avaient pu riposter et il décéda peu après. Les femmes de l’estaminet inhumèrent les sept hommes derrière le café. Et après la guerre, le corps du Britannique fut exhumé et réinhumé au Strand Military Cemetery (parcelle IX, rangée G, tombe 8), cimetière situé au nord de Ploegsteert (Belgique).

Cet épisode de la guerre est raconté dans un livre intitulé « Old Soldiers never die » (Les vieux soldat ne meurent jamais), écrit en 1932 par Franck Richards (1883-1961) qui fut soldat lors de la Grande Guerre. Mais l’écrivain ignorait le nom du soldat ayant accompli cet acte de bravoure. C’est après de longues recherches, faites par le docteur John Krijnen, un expert hollandais sur la Première Guerre mondiale, que son identité fut découverte. Il s’agit de William Mc Cann à Balcadden avec l’inscription : « William died at Armentières 17th Octr 1914 » (William mort à Armentières – 17 octobre 1914). William Mc Cann fut surnommé « le lion d’Houplines » par Frank Richards.

Mc CANN inhumé près de l’église St Charles
Mc CANN inhumé près de l’église St Charles
Tombe où il est actuellement au Ploegsteert
Tombe où il est actuellement au Ploegsteert

Le 18 octobre, après avoir chassé tous les Allemands, les Britanniques déployèrent des fils de fer barbelés dans la rue Kléber. Ils placèrent des canons autour du Bourg et tirèrent des obus sur leurs ennemis. Ceux-ci répliquèrent et firent quelques victimes civiles : Juliette Delangle, cité Dubois ; Juliette Trioen, cité Leroy ; Vincent Caulier, rue Bataille ; et Fernand Doolaeghe.

Le 20 octobre, une pluie de 400 obus commença à détruire la cité. Ce fut ensuite des canonnades journalières, forçant la population à se réfugier dans les caves. Les obus s’abattaient sur tous les bâtiments, brisant toutes les vitres, enlevant les toitures, labourant les murs, anéantissant toutes les fermes. Et l’annonce d’un retour éventuel des Allemands fit fuir un bon nombre d’habitants.

Le 21 octobre, bien qu’un drapeau de la Croix- Rouge flottât sur le toit de l’Hospice, un taube jeta deux bombes sur l’hospice qui tuèrent Henri Charlet et une religieuse Marie Houpline (sœur Saint-Denis), ainsi que Florimond Bondue, à l’estaminet Delmotte, rue Thiers. Frédéric Vandierendonck, cultivateur, fut tué le 23 à l’Epinette.

La population aisée avait évacué la ville. Et tous les Houplinois restant en ville vivaient la majeure partie du temps dans les caves. Ils remontaient lors des accalmies pour se procurer de la nourriture que leur donnaient les Anglais, dans une cantine populaire qu’ils avaient installée au presbytère. Et ils profitaient de cette sortie pour avoir des nouvelles du front. Et chaque jour le curé distribuait un kilo de pain à chaque membre des familles ouvrières.

Parfois, Melle Deletête, qui avait repris ses fonctions de receveuse à la poste, amenait du courrier qui lui avait été apporté d’Hazebrouck. Les facteurs se chargeaient de la distribution dans les rues. Et chaque dimanche, les curés célébraient la messe dans leurs églises. Mais les obus continuaient à tomber. L’église Saint-Charles fut atteinte plusieurs fois, ainsi que l’église Sainte-Anastasie, la mairie, et toutes les usines. 

La brasserie Roussel, transformée en ambulance par les Britanniques, n’était pas non plus épargnée. Le hameau de l’Epinette, la ferme de la Buterne, le Ruage furent le théâtre de nombreux affrontements.

 

Le mercredi 11 novembre, la ferme Bouillet était en flammes ; Victor Libbrecht, le concierge du château Laloy, fut tué, ainsi que Louise Hauwen, à l’Issue Hellin (Cité la Rose).
Le jeudi 12 novembre Henri George et son épouse Marie Longcamp, surnommés « balanciers », furent tués chez leur fils où ils s’étaient réfugiés. La liste des tués s’allongeait, mais le 18, ce fut la naissance de Gladys-Germaine Pilate, née dans la cave de ses parents. Mais Gladys ne fut pas le prénom de baptême, car il fut donné par le major anglais qui apporta son aide en l’absence de tout docteur à Houplines.
Le vendredi 20 novembre, les Britanniques ordonnèrent l’évacuation complète des rues Lutun et Zola. Ils redoutaient le passage d’espions, ces rues étant trop proches des tranchées. Puis, la circulation fut interdite dans les rues dès six heures du soir ; et après huit heures du soir, c’était défense absolue de mettre le nez dehors, sous peine de graves sanctions. Un tenancier de la place de l’Eglise, Dedours, fut arrêté par les Anglais pour avoir donné à boire à deux soldats qui furent trouvés ivres dans la cour de son estaminet. D’un autre côté, les troupes écossaises pillaient toutes les maisons désertes et démontaient les meubles pour en faire du bois de chauffage.
Le dimanche 6 décembre,  toute une famille  fut victime d’un obus allemand, à l’estaminet  « l’Harmonie » de la rue Gambetta, tenu par Henri Flament et son épouse Julie Vereeke, où elle avait trouvé refuge. Il s’agissait d’Oscar Houste et son épouse Thérèse Vankemmel ; Jean-Baptiste Janne, son épouse Marie Houste et Suzanne Janne, leur fille de quatre ans, Augustine Joye (dont le mari, Henri Houste était militaire) et Marthe Houste, sa fille de un an. Un tailleur d’habits, Victor Pauriche, de la rue Félix Faure fut aussi tué et les époux Flament, gravement blessés, furent transportés à l’hôpital d’Armentières (Henri Flament fut amputé d’une jambe et décéda le 23 janvier 1915 à l’hôpital d’Armentières). Cet événement causa un grand émoi parmi les habitants.

Le mercredi 9 décembre à huit heures du matin, un fracas infernal terrorisa tout Houplines. Les mitrailleuses crépitaient par saccades, les canons anglais assourdissaient l’horizon, et les canons allemands ne tardèrent pas à répondre. Ce terrible vacarme dura plus d’une heure, puis le calme revint peu à peu. Une bataille acharnée venait de se dérouler du côté de la ferme des Quatre-Hallots. Les Allemands s’étaient élancés pour forcer les lignes britanniques, mais les Anglais avaient été prévenus de cette attaque par trois jeunes Allemands démoralisés qui s’étaient élancés pur forcer les lignes britanniques, mais les Anglais avaient été prévenus de cette attaque par trois jeunes Allemands s’avancèrent en rangs serrés, leurs mitrailleuses fauchèrent des lignes entières, et obligèrent les survivants à se retirer. Les pertes anglaises furent minimes. La rue Carnot était jonchée de douilles de balles, et les tirs ennemis touchèrent de nombreux greniers et toitures. Des obus tombèrent aussi en grande partie du côté du cimetière.

Le lundi 21 décembre, les alarmes se succédaient sans cesse et un obus atteignit la maison du maire, rue Victor-Hugo. Celui-ci, estimant la situation de plus en plus dangereuse, télégraphia alors au sous-préfet pour demander l’évacuation totale de la ville. Mais le sous-préfet n’accorda que l’évacuation de l’hospice.

Le mercredi 23 décembre, les vieillards de l’hospice et les religieuses furent emmenés à Hazebrouck dans des camions conduits par des soldats français. Le convoi était précédé d’une voiture où avaient pris place le sous-préfet et l’abbé Jules Lemire (1853-1928), curé et maire d’Hazebrouck.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’année 1914 s’achevait sans grand changement pour la population. Houplines comptait 24 victimes civiles tuées depuis octobre dans la commune, plus 10 victimes civiles décédées de leurs blessures à l’hôpital d’Armentières, et 55 soldats tombés au front depuis le début de la guerre (moins Prévost Charles). Il ne restait que deux religieuses à Houplines, sur les dix-huit qui rendaient service à la commune auparavant.

Le vendredi 25 décembre, il faisait froid et la neige s’était mise à tomber. Depuis mardi matin, il régnait un calme relatif et les canons s’étaient tus sur quelques rares secteurs du front. Dans les tranchées, les soldats des deux armées ennemies veillaient. Prés de la Lys, la tranchée allemande était occupée par le « 133rd Royal Saxon Régiment » ; et face à elle, à quelque 80 mètres se tenait le « Royal Welch Fusillers ». Tous savouraient le calme peu habituel qui régnait et s’apprêtaient à fêter Noël. A minuit, des voix allemandes se mirent à entonner « Stille Nacht » (Douce Nuit), un cantique bientôt repris en chœur par les Ecossais. Au matin, les Allemands sortirent de leurs tranchées, imités aussitôt par les Britanniques. Les soldats se rejoignirent au milieu du no man’s land, dans les alentours de la ferme de la Moutarderie, et se saluèrent. Puis ils échangèrent des présents ; les Saxons leur apportèrent de la bière de la brasserie Lutun et les Ecossais offrirent des cigarettes, du chocolat et du pudding. Un peu plus tard, un Ecossais apporta un ballon, et un match de football commença. Le jeu se termina avec le score de trois à deux en faveur des Allemands. Et les officiers s’entendirent pour observer une trêve jusqu’à minuit. Mais dans la soirée, les Ecossais furent remplacés par un bataillon d’une autre brigade, les Etats-Majors n’ayant pas apprécié que leurs unités pactisent avec l’ennemi. De même, les Houplinois n’acceptèrent pas cette « fraternisation » et, pendant quelques jours, l’événement fut le centre des conversations.

Edition 27/09/2018

Texte Alain Fernagut et Houplines toute une Histoire.